Une filiale russe de Vinci poursuivie devant la justice
24 June 2013, Le Monde
Lundi 24 juin sera déposée devant le procureur du tribunal de grande instance de Nanterre une demande d’ouverture d’enquête préliminaire sur faits de corruption d’agent public étranger et de recel de trafic d’influence, à l’encontre de la société Vinci Concessions Russie, une filiale du groupe Vinci.
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Cette demande est faite par l’association Sherpa, des associations d’écologistes russes et Evguenia Tchirikova (prix Goldman de l’environnement 2012), une des figures de la lutte contre le projet d’autoroute à péage Moscou-Saint Pétersbourg, dont une section de 43 kilomètres doit traverser la forêt de Khimki, bordant l’agglomération de Moscou. Le parc de la forêt de Khimki est une zone naturelle protégée abritant une faune abondante et servant de poumon vert dans une région urbaine densément peuplée.
Dans son dernier rapport annuel, Vinci indique que près de 100 millions d’euros seront consacrés à des actions à caractère environnemental et social au long de l’autoroute, et qu'”un programme d’amélioration de l’écosystème de la forêt de Khimki” est engagé. Sur la section litigieuse, près de 50 % des travaux sont réalisés.
Vinci est directement associé au projet, étant actionnaire à 37,5 % de la société North-West Concession Company (NWCC), chargée de construire l’autoroute. Cette dernière a remporté l’appel d’offres lancé par le gouvernement russe en 2007, et signé le contrat de concession le 27 juillet 2009. Le projet se fait dans le cadre d’un partenariat public privé (PPP), le premier en Russie pour la construction de routes. L’ouvrage devrait générer 1,5 milliard d’euros de recettes sur trente ans au bénéfice du concessionnaire, son coût étant de l’ordre d’un milliard d’euros.
PÉTITION
Le projet de destruction de la forêt de Khimki a suscité une vive contestation de la part de citoyens locaux et d’associations ; une pétition a été signée par 15 000 personnes. Et très tôt, des accusations de corruption ont été émises.
En novembre 2008, le journaliste Mikhaïl Beketov a été violemment agressé suite à une série d’articles dénonçant cette corruption. Il a passé plusieurs mois dans le coma et est resté handicapé, avant de décéder en avril dernier.
En juillet 2010, la Banque européenne d’investissement et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement ont décidé de se retirer du projet, considérant qu’il ne correspondait pas à leurs critères.
L’affaire trouve maintenant un rebondissement judiciaire en France, avec la demande déposée par l’association Sherpa, Russie Libertés, CEE Bankwatch (une ONG située en République tchèque et spécialisée dans l’analyse des financements internationaux en Europe de l’Est), et plusieurs écologistes russes. Elle se fonde sur de nombreux éléments rassemblés par ces associations avec l’aide de journalistes russes.
“NOUS RÉFUTONS TOUTES LES ALLÉGATIONS”
Les motifs de la demande sont les conditions discutables, selon les demandeurs, de l’appel d’offres (limitation du nombre de candidats, candidats non crédibles), et l’implication de hauts fonctionnaires et d’Arkady Rotenberg, un proche du président russe Vladimir Poutine. Ils soulignent aussi l’opacité du réseau de sociétés auquel s’est associée Vinci, un écheveau dont nombre de fils aboutissent à Chypre, pays considéré comme un paradis fiscal. L’ensemble des présomptions correspond à une grille d’analyse publiée par la Banque mondiale pour détecter les cas de corruption.
Interrogée par Le Monde à propos de la procédure engagée, Vinci indique que, “dans l’attente des éléments nouveaux apportés par Sherpa, nous réfutons toutes les allégations sur nos activités en Russie”. Dans le passé, précise le porte-parole, “ce qui avait été stigmatisé était le partenaire russe. Ce n’est pas à nous d’expliquer sa position.”
Vinci a déjà été accusée de corruption en France – en avril – par la députée européenne (Verts), Eva Joly, à propos de la forêt de Khimki. La société a démenti cette accusation, affirmant auprès de l’AFP que le “modèle de la concession retenu pour ce projet et son montage financier sont porteurs de transparence financière”. La compagnie n’est pas concernée directement par la demande d’ouverture d’enquêtes. “Celle-ci concerne Vinci Concessions Russie, précise William Bourdon, président de Sherpa. Ce sera à l’enquête d’établir l’éventuelle responsabilité de Vinci.”
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